- M. Laurent CHOMEL soutiendra publiquement sa thèse : Lundi 29 avril 2024 à 14h , à l’Université Paris XIII dénommée Université Sorbonne Paris Nord – Place du Front Populaire-93322 Aubervilliers-SALLE – 0.030
Spécialité : Sciences de l’information et de la communication
Sujet : La YouTubisation de la connaissance comme dispositif d’engagement subpolitique des jeunes adultes. Exemple du programme #DataGueule, coproduit par France Télévisions et diffusé sur YouTube.
Dans une société où les jeunes adultes réalisent que le progrès et les modes de vie de leurs ascendants ont obstrué leur futur de risques presque insurmontables , ils ont besoin de chercher à comprendre les causes de cette situation, d’en faire la critique et de trouver par eux-mêmes les solutions. Les médias historiques (et la télévision en particulier), ont perdu leur prééminence sur l’éducation populaire et culturelle. Les longues lectures ont été remplacées par la lecture de posts et de contenus vidéotisés , nécessitant moins de ressources cognitives, les vidéos étant à même de faire comprendre des sujets complexes grâce à leur représentation visuelle. Le nombre des «apprenants» s’élargit et les jeunes adultes peuvent trouver là des moyens d’encapacitation . Les vidéos s’immiscent progressivement dans les salles de classe et permettent de focaliser l’attention et de séquencer les cours. Pourtant, si la contre-culture des années 60 était le ferment d’une pensée émancipatrice, elle a aussi porté en son sein une idéologie néolibérale, avec le soutien de l’États et de l’armée américaine. Une scission s’est opérée chez les hackers de l’époque entre ceux qui souhaitaient privatiser leur travail et ceux qui voulaient le partager librement. Les premiers firent fortune. Aidé par les politiques de défiscalisation et de mondialisation, la valorisation en bourse de Google lui permit d’étendre son hégémonie et de racheter YouTube en 2006. Pour favoriser les interactions, celle-ci a enchâssé un espace de commentaires aux vidéos, créant ainsi un espace public « réflexif ». Rapidement, YouTube est devenue le diffuseur hégémonique de la spectacularisation du monde, avec plus de 262 millions d’heures de vidéos téléversées rien qu’en 2019. Si les divertissements et ses thématiques sont largement majoritaires en termes d’audience, la part de mises en ligne de vidéo diffusant de la connaissance représente 50% . Les chaines de télévisions ayant abandonné les émissions éducatives dans leur grille de programmes, celles-ci sont réapparues sur YouTube. Les vidéastes producteurs ont ainsi renouvelé l’éducation populaire, et ont horizontalisé l’apprentissage. Ils permettent aux jeunes adultes de réagir aux vidéos et d’interagir entre eux, et par cette pratique informationnelle, ceux-ci peuvent acquérir et développer leur connaissance. Des enquêtes citoyennes peuvent être menées qui agrège avec elles une quantité de webspectateurs dans des actions subpolitiques1.Nous avons constaté ce phénomène avec la chaine YouTube #DataGueule, qui produit des vidéos de décryptage de questions politico-scientifiques et revendique de faire «cogiter les webspectateurs». Coproduite par France Télévisions et des auteurs engagés dans la citoyenneté, elle donne à voir un modèle de «vidéos de connaissance» qui génère un engagement tant participatif que financier, lors de certains documentaires plus ambitieux. L’enquête que nous avons menée auprès de 2000 webspectateurs de #DataGueule met en évidence le potentiel pédagogique des vidéos. La centaine d’épisodes diffusés depuis la création de la chaine, permet aux 15/35 ans qui les visionnent, non encore détenteur du baccalauréat (50%), en licence (25%) ou en master (22%), d’appréhender des questions sociétales importantes. Ce corpus de vidéo forme interroge le fonctionnement de notre démocratie dans toute ses composantes. Nous avons pu montrer que ces vidéos et leurs commentaires, permettent aux jeunes adultes de mieux comprendre la complexité des problèmes à affronter ; son ton incisif, soutenu par une succession de données sourcées et illustrées y contribuent activement. Les jeunes adultes s’entrainent ainsi à débattre en ligne de questions s’y rapportant et auxquelles ils n’auraient moins eu l’occasion de réfléchir sans elles. Nous pouvons parler d’une self éducation populaire qui stimule leur esprit critique et les pousse à développer leur engagement subpolitique. Dans l’exemple de DataGueule, c’est une collaboration entre France Télévisions, la plateforme YouTube, les auteurs/producteurs et des webspectateurs qui produit ce partage de connaissances. Notre enquête et la quarantaine d’entretiens menés, nous révèlent aussi les pratiques d’engagements différenciés des jeunes adultes. Celles-ci permettent d’observer un groupe central majoritaire qui se mobilise de manière réfléchie, alors que d’autres minimisent leur implication ou surréagissent, tels des agitateurs nécessaires. Si un quart seulement écrit des commentaires, ils sont en revanche plus des trois quarts à les lire, démontrant en cela l’importance de ces partages. La manière dont sont produites les vidéos, leur contenu autant que la transparence des sources, l’accès aux textes des voix off, le graphisme? définissent un dispositif. Celui-ci active et rend les discussions hautement politiques. Le corpus de 3300 commentaires d’un épisode sur l’assistanat nous montre que le contradictoire s’exprime dans un environnement modéré par des participants. Certaines discussions peuvent même être assimilées à des proto délibérations. Les entretiens nous révèlent des tendances de fond et accentuent l’importance des vidéos visionnées dans la mise en mouvement de l’engagements des enquêtés. La proposition d’enquête citoyenne formulée par John Dewey dans les années 40 s’applique totalement au travail de #DataGueule, pour laquelle la YouTubisation de la connaissance a un rôle prépondérant. Par leurs productions, les auteurs citoyens approfondissent un corpus de sujets dont les discussion en ligne et les conclusions pourraient être mis en délibération à large échelle. Pour ce faire dans de bonnes conditions, prendre ses distances avec YouTube est une nécessité. Si nos résultats sont positifs, le design de la plateforme est un frein à une réelle délibération permettant de produire de propositions activables. Pour cela, nous inspirant du design d’un espace numérique de délibération déjà existante, nous proposons des modifications pour la rendre encore plus fluide et efficace, en plaçant la vidéo au centre de de son dispositif. Une YouTubisation de la connaissance, sans YouTube !